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Henri Duboscq et son Haut-Marbuzet – Hebdo Vin Chine de Laurence Lemaire Blog Vin Bordeaux Chine

Henri Duboscq et son Haut-Marbuzet

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Laurent Cisneros, Château de Rouillac
05/06/2018
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Signature du Memorandum of Understanding Bordeaux Hong Kong
18/06/2018

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Henri Duboscq et son Haut-Marbuzet
Des vérités d’instants, des émotions

« Au début est la fleur de vigne. D’elle naît le raisin. N’avez-vous jamais senti l’odeur de la fleur de vigne ? C’est, en plus raffiné, le chèvrefeuille ou le jasmin. La vigne est pudique : elle ne convie personne à sa fête de la conception. Si vous me rejoignez dans une vigne en fleur, je vous révélerai le frisson jaunissant des étamines copulantes. Pendant huit jours, les ceps de vignes vont porter ce spectacle olfactif paradisiaque puis ces milliards d’ovules vont aller grossissant au souffle de l’espérance. Né dans un tel contexte le vin prend toute sa dimension de symbole qui, d’après Colette, « rend intelligible la saveur de la terre ». La fleur de vigne est impalpable. Ses petites lamelles sont particulièrement fragiles ; la pluie comme le vent les fait tomber, le soleil les grille entraînant coulure et millerandage ; le climat idéal est un privilège divin qui assure un soleil voilé de nuages.

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Si, dans un verre de vin il n’y a que du vin, l’ensemble est très insatisfaisant. Dans un verre de vin, ce qui est déterminant c’est le vide qui est au-dessus du vin, parce que ce vide, comme disent les profanes, est rempli des émotions. Dans ce vide, vous trouvez ce que, de génération en génération, les vignerons ont donné de mieux ; vous avez cette force d’essence divine, vous avez la vie de vos émotions, de vos frissons. Dans un verre de vin, il y a l’après midi de fin mai, dans un vignoble. Dans le vide dont je vous parle vous pouvez mettre la foi et l’enthousiasme du vigneron, le sourire de la vigneronne avec son geste maternel qui relève, attache, ébourgeonne. Etre viticulteur c’est amener les gens à vivre dans ce vide qui est celui des émotions et des souvenirs. Etre un vigneron c’est être un générateur de bonheur, un fournisseur de rêve, un réacteur de volupté.

A cinq heures du matin, j’ouvre la porte de mon chai et je ressens en plein visage l’haleine séraphique de Bacchus. A ce moment-là, je peux penser devenir le magicien qui, la recevant, transmettra l’espérance.

Marcel Proust, ayant sûrement perçu cette impression, n’hésite pas à écrire : « l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir ». Partant de là, l’individualisme a longtemps accaparé la production de grands vins. Aujourd’hui, ce rôle est de plus en plus dévolu aux multinationales qui investissent chèrement dans de grands vignobles. Ce transfert grandit considérablement la qualité intrinsèque des vins. En effet, par des investissements importants dans des techniques de pointe, ces grands vignerons tempèrent et neutralisent les méfaits météorologiques

Ainsi, l’amélioration qualitative se perçoit jusqu’à la perfection. Mais si, comme je le crois, le but du vin n’est pas la perfection mais l’émotion, ces nouveaux grands vignerons n’ont pas raison. Cherchez les grands moments d’émotion de votre vie, la féerie d’un panorama, la fascination devant une toile, le sortilège d’une musique, l’intensité d’une étreinte. Vous vous rendrez compte que ce n’est pas la perfection qui a créé cette émotion. L’émotion est un rythme avec lequel on se sent en harmonie, que l’on croit découvrir mais qui, en fait était au fond de nous. S’émouvoir c’est se reconnaître dans quelque chose d’autre, dans quelqu’un d’autre ; c’est bien rarement dans la perfection.

Je ne veux pas être le meilleur, je veux être le préféré ; c’est ce à quoi je tiens. Un meilleur ne dure jamais bien longtemps ; alors qu’être le préféré, lorsqu’on détient les moyens de la préférence, peut durer ‘’l’éternité’’ d’une vie. Bien des puristes de la dégustation, qu’avec affection j’appelle ‘’oenarques’’ ont souvent critiqué cette façon inobjective de la vinification. J’ai toujours répondu que, dans l’exercice de mon métier je n’ai eu que deux maîtres, le terroir et les femmes ; ils sont les éléments les plus inobjectifs de la création. Les terroirs n’appartiennent jamais à ceux qui les méritent le plus ; quant aux femmes, si elles étaient vraiment objectives, elles ne seraient sûrement pas avec leur partenaire du moment.

Deux biologistes danois ont découvert que le cerveau, en fonction de son affect, créé des protéines de liaison qui subliment ou diminuent les sensations olfactives et gustatives. Cet affect naît du vide au-dessus du vin, rempli de souvenirs générant des rêves. Ainsi, le préféré devient le meilleur. Certes, il faut faire du bon vin, mais aussi créer un produit encore embelli par les rêves de celui qui le goûte.

Haut-Marbuzet. Mon père a commencé ici en 1952 avec sept hectares de vignes en rente viagère.
Mes enfants. Hughes et Bruno travaillent avec moi ; ils reprendront la suite du vignoble Haut-Marbuzet bien entendu. On transmet des gènes mais aussi des émotions ; ainsi dés leur plus jeune âge, ils ont appris le bon et le beau. Ils ont éveillé leurs sens dans une atmosphère délicieuse de saveurs et de senteurs de vin. Ils sont tombé dedans à la naissance.

Eux sont tombés dans le beau, mon père était tombé dans le dur : il était un cheminot à petit salaire. Sa soif de revanche sur la vie lui a construit une cathédrale dans le coeur. Il a su que la vigne du Médoc ne valait rien – il avait épousé une vigneronne du Gers et s’intéressait au vin – c’est ainsi qu’il a acquis la rente viagère de sept hectares de vignes qui s’appelait Haut-Marbuzet. Il a d’emblée transgressé les traditions de la commercialisation au négoce bordelais pour aller directement à la clientèle particulière. J’ai été élevé dans cette ambiance de revanche sur la vie, sachant qu’elle ne viendrait que grâce à notre vigne. Notre histoire est celle d’humbles vignerons qui ont été aimés de leurs vignes au point qu’elle les a anoblis ».

En 1815, le domaine de Haut-Marbuzet à Saint-Estèphe appartenait aux Irlandais Mac Carthy. En 1848, ils ont mis leurs soixante-dix hectares en vente, sans trouver d’acquéreur. Les huit laboureurs du hameau ont acheté un lot chacun. Hervé Duboscq a racheté le lot de la famille Poissonnier. De 1952 à 1996, Hervé d’abord puis Henri ensuite ont acquis les sept autres lots, dont celui de sa futur femme, pour reconstituer la totalité du patrimoine initial des Mac Carthy ; soixante-dix au total passés à soixante-quinze aujourd’hui, d’un seul tenant. Henri Duboscq a également acheté quelques hectares en Haut-Médoc et achètera encore un hectare et demi à Saint-Estèphe dans quelques mois. Mais pourquoi toujours cette course ? « J’ai une grande loi : n’avoir jamais plus de vin que de clients, et surtout n’avoir jamais plus de clients que de vin. Je manquais de vin. J’ai augmenté la production.

Françoise Giroud. Laissons lui le dernier mot puisqu’elle est femme, et qu’à ce titre, elle n’avait rien besoin de savoir pour tout comprendre. Elle disait qu’une vraie réussite est toujours « la réunion inextricable de talent, de travail et de chance ». La chance et le travail considérable ont fait croire à mon talent. J’ajouterai l’amour car mon histoire est celle d’un homme qui a été aimé de sa vigne au point d’attendre quarante ans pour se donner en totalité. Comme presque toujours, le bonheur vient du choix d’une femme ».

Forti et fideli nihil difficile : « Rien n’est difficile à celui qui est courageux et fidèle » ; cette devise trône à l’entrée du chai de Haut-Marbuzet, perpétuée par notre enchanteur Henri Duboscq, qui tient à ajouter « courageux, fidèle et amoureux ».

Photo © Petit Claude

le Vin, le Rouge, la Chine

Edition n°12
Les 158 vignobles français achetés par les Chinois sont décrits : 146 Châteaux de Bordeaux, 10 vignobles en France, 2 Maisons de cognac.
Pourquoi ces vignobles sont-ils en vente ? Pourquoi les Chinois les achètent-ils ?
250 pages et 350 photos de Laurence Lemaire, préfacées par Alain Juppé et Alain Rousset.
Version numérique en PDF mise à jour au quotidien – 8€, et sa version papier en librairie mise à jour tous les 3 mois sont en vente sur ce blog et sur le site www.levinlerougelachine.com

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