12 11 15 – Un collectionneur privé chinois a déboursé 170,4 millions de dollars (159 millions d’euros) par téléphone en 9 minutes de surenchères contre 7 acheteurs, pour le tableau Nu couché de Amedeo Modigliani (1884 -1920). Il était proposé le 9 novembre 2015 par la maison Christie’s à New York.
C’est une toile peinte en 1917-1918 de 60 par 92 cm, montre une femme nue alanguie sur un canapé rouge avec un coussin bleu ; elle fait partie d’une série de Nus créés par le peintre alors installé à Paris ; exposés à la galerie parisienne Berthe Weill, ils avaient fait scandale : choquant parce qu’ils étaient contemporains, la police avait ordonné que ces Nus soient retirés.
Nu couché a des couleurs riches et uniques ; la manipulation de la peinture est luxuriante, l’érotisme est puissant. Alors propriétaire de ce tableau, Laura Mattioli Rossi, fille héritière du collectionneur italien Gianni Mattioli, avait la garantie d’un prix minimum de 100 millions de dollars.
Âgé de 51 ans, Liu Yiqian préside le groupe Sunline, un énorme conglomérat aux activités diversifiées dont la chimie et la pharmacie ; il est doté d’une fortune estimée à 1,38 milliard de dollars selon le magazine Forbes ; il a bâti son empire en jouant en la Bourse dans les années 1990.
Liu Yiqian s’est faire connaître sur le marché de l’Art par des acquisitions pour les 2 musées qu’il a créés à Shanghai avec son épouse Wang Wei, le Long Museum Pudong ouvert en 2012 exposera Nu couché en 2017, et le Long Museum West Bund ouvert en 2014.
– une tasse en porcelaine de l’époque Ming, finement décorée de coqs et de poules
– un vase bleu de l’époque Song vieux de 800 ans pour 14,7 millions de dollars
– un recueil de calligraphies bouddhistes de l’époque Ming pour 14 millions de dollars etc…
– un tangka tibétain sur toile du XVème siècle pour 45 millions de dollars
– une erreur : pour 8,2 millions de dollars, un rouleau censé être daté de la dynastie des Song (960-1279) : un faux, ont conclu des experts chinois réputés.
Elle est petite car il est mort jeune, à 35 ans ; il a créé environ 350 peintures et une trentaine de Nus. Son Nu couché est le 2ème prix le plus élevé enregistré pour une œuvre d’art vendue aux enchères, le 1er étant Les femmes d’Alger (version O), une huile peinte par Pablo Picasso en 1955 à partir du tableau de Delacroix de 1834. Celui de Picasso a été adjugée en 11 minutes pour 179,4 millions de dollars chez Christie’s en mai 2015 ; en 1997, ce tableau avait été mis à la vente pour 28 millions d’euros : devant une telle plus-value, le vendeur et l’acheteur ont préféré rester anonymes.
le commissaire-priseur de Christie’s scellant la vente du tableau de Pablo Picasso © REUTERS/Carlo Allegri
Le tableau de Delacroix ci-dessous :
Quant au tableau iconique Nurse de Roy Lichtenstein – carré de 1,21 m de côté, peint en 1964 par le maître du Pop Art américain, il s’est vendu ce même jour pour 95,3 milliards de dollars, au-dessus de son estimation initiale de 80 millions de dollars.
Européen, nord-américain ou asiatique, le collectionneur d’art est philanthrope et passionné. Ceux qui dépensent le plus se trouvent en Asie à cause du contexte historique et économique.
Les États-Unis et l’Europe ont un long passé de collection alors que le marché asiatique s’est développé avec l’expansion économique récente. Les prix des œuvres sont plus élevés en Asie et les artistes chinois se vendent à des prix premium créant un marché de peu de collectionneurs mais qui ont un pouvoir d’achat très important. Un des plus grands collectionneurs d’art chinois est l’homme d’affaires Zhang Rui, propriétaire de quelques 800 œuvres contemporaines chinoises depuis 2000.
A l’hôtel Drouot de Paris, les acheteurs sont 80% chinois : les chinoiseries étaient à la mode au XIXème siècle et début du XXème siècle. « Ils rachètent leur culture, ce qui a été exporté, ce qui est parti avant qu’ils aient les moyens de se l’approprier» explique Charles-Edouard Delettrez, commissaire-priseur.
A Art Basel Hong Kong, les collectionneurs chinois prennent goût à l’art occidental. En mars 2015, Jack Ma le patron d’Alibaba ou Uli Sigg sont venu compléter leur collection. Dabin Cheng expliquait : «Je suis installé à Cape Town. Cela fait vingt ans que je travaille dans les mines et le tourisme. Je viens ici pour Scheryn, mon fonds qui investit dans l’art contemporain africain.» Sa collection comprend des artistes contemporains chinois et occidentaux comme Basquiat.
Janis Gardner Cecil, directrice de la galerie new-yorkaise Edward Tyler Nahem, présentait Television and Cruelty to Animals de Jean-Michel Basquiat pour 8 millions de dollars.
La Galerie Mark Müller de Zurich a vendu Painting #476 (230 x 190 cm) de Markus Weggenmann à un chinois pour 33 000 dollars.
La galerie allemande Eigen + Art a vendu la toile de Tim Eitel: Mexican Window (250 x 230 cm) pour 156 000 d’Euros à un asiatique : «Les collectionneurs de l’Asie émergente, les Chinois en particulier, ne posent pas les mêmes questions que les Occidentaux, dit-elle. Parce qu’ils n’ont ni la même culture ou ni les mêmes références, en particulier chrétiennes. Ils se renseignent de plus en plus, signe de leur intérêt croissant pour les artistes européens et américains.»
Une galeriste indienne constate : «Parfois, ils parlent tout de suite du prix, et de rien d’autre. C’est un peu agaçant ! Mais c’est aussi en partie en raison de la barrière linguistique. Ils veulent en tout cas deux choses : que la valeur soit sûre et que cela en jette. Les grandes tailles ne les effraient pas.»
Un galeriste européen raconte : «ils peuvent venir, poser plein de questions et disparaître plusieurs jours avant de repasser et acheter en cinq minutes.»
Lire le chapitre Chine et Art avec Bernard Magrez et les collectionneurs chinois de vins, dans le Vin, le Rouge, la Chine, sur les investissements des chinois dans les vignobles bordelais. 242 pages et 350 photos de Laurence Lemaire, préfacées par Alain Juppé et Alain Rousset. www.levinlerougelachine.com